La démarche de Recherche

Introduction

Chalmers (1987) fait un bon descriptif des différentes manières d'acquérir un savoir scientifique. En voici deux brièvement décrites :

L'empirisme, ou le savoir issu des faits de l'expérience. La science (ses lois et théories) est formée, de façon rigoureuse, de faits issus de l'observation et de l'expérience, sans laisser de place aux opinions personnelles des chercheurs. Cette conception, qui remonte au XVIIe siècle (Galilée, Newton), comprend certains problèmes. Tout d'abord, il s'agit de savoir combien d'observations permettront assurément de conclure à la véracité d'une loi : Observer, dans de nombreuses situations, qu'un grand nombre de corbeaux a la couleur noire ne permettra jamais de conclure "Tous les corbeaux sont noirs". Un autre problème est celui des situations : il est impossible de déterminer a priori quelles sont les situations qui pourront éventuellement jouer significativement sur le résultat. Par exemple, si l'on veut déterminer scientifiquement le point d'ébullition de l'eau, quels sont les paramètres qui pourront influencer cette mesure ? (pression, pureté de l'eau, température extérieure, heure du jour, couleur du récipient ? - seules les deux premiers paramètres sont signifiants). Ainsi, avoir des idées sur cette question reviendrait justement à dire que l'on possède une théorie avant toute observation, ce qui n'est pas compatible avec l'inductivisme, qui procède de l'observation vers la théorie. Enfin, un troisième argument est de signaler les problèmes posés par l'observation proprement dite : la perception humaine, on peut le tester aisément, n'est pas exempte de défauts, d'illusions (e.g., illusions d'optique), et l'on n'est donc jamais sûr, par nos sens, d'observer le monde réel ; cette question est encore plus vive lorsqu'on fait intervenir des instruments (e.g., microscope). La classique démarche OHERIC (Observation, Hypothèse, Expérience, Résultat, Interprétation, Conclusion) (voir par exemple Giordan, 1999). Prenons pour exemple la perception de la pomme d’Ernst Von Glasferld (1988, p. 29) : « Elle apparaît à nos sens comme lisse, parfumée, sucrée, jaune, mais il ne va pas de soi du tout que la pomme possède effectivement ses propriétés, comme il n’est pas évident du tout qu’elle ne possède aussi d’autres propriétés que nos sens ne perçoivent pas simplement. […]. En effet, non seulement son aspect lisse, son parfum, sa couleur, son goût sucré sont alors douteux, mais on ne peut plus être certain qu’il existe un objet qui corresponde à notre expérience, formant un tout ou une “ chose ”  séparée du reste du monde. ».

Source http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Methode_scientifique_diagramme_etats_2.png


La réfutabilité ou le falsificationnisme, ou le progrès par essais et erreurs
. Les théories sont de simples conjectures, des suppositions, qui tentent de répondre aux questions non résolues par les théories précédentes. On les teste le plus rigoureusement possible, on les confronte à l'observation et l'expérience, et l'on élimine celles qui n'y résistent pas. Ainsi, on ne dira jamais qu'une théorie est vraie, mais seulement qu'elle est la meilleure possible à cette date. L'approche scientifique falsificationniste est donc différente de la précédente : ici, l'on formulera les théories de manière à ce qu'elles soient falsifiables (i.e., qu'on puisse produire des énoncés ou des observations qui lui sont contradictoires). Par exemple, la proposition "On peut avoir de la chance dans les paris sportifs" reste vraie que la personne joue ou pas et, si elle joue, qu'elle gagne ou pas" ; et il suffira d'observer un seul corbeau blanc pour invalider l'assertion "Tous les corbeaux sont noirs". Cette approche a été formulée par Popper (1998). La démarche Question, Hypothèse, Expérience (Giordan, 1999), peut rentrer dans cette approche, du moment que la question soit falsifiable, et qu'on soit attentif au fait qu'aucune expérience ne réfute exactement l'hypothèse de départ. La réfutabilité est un concept important de l'épistémologie. Une affirmation est réfutable s'il est possible de consigner une observation, ou de mener une expérience qui démontre que l'affirmation est fausse.

      L'expérience est une observation provoquée. Elle répond à une structure logique développée dans le but de créer les conditions requises à l'étude systématique des effets d'une ou plusieurs variables appelée(s) indépendante(s) sur une ou plusieurs autre(s) appelée(s) dépendantes. Cette structure logique correspond à un dispositif de collecte et d'analyse des données. Le dispositif ou plan expérimental dicte quelles observations faire, comment les faire, et comment analyser les informations recueillies. Idéalement, il doit être valide à deux points de vue, correspondant respectivement à la validité interne et à la validité externe (D. CAMPBELL & J. STANLEY, 1963). On définira chacun de ces deux concepts par une question :

      * validité interne : Le traitement expérimental a-t-il réellement agi?
      * validité externe : A quelles populations et à quelles circonstances peut-on généraliser l'effet du traitement expérimental?

      L’hypothèse
      Étymologiquement, le mot hypothèse vient du grec hupothesis  :

        Le sens actuel du mot hypothèse est resté assez proche de son origine étymologique : il désigne « moins » qu'une « opinion » ou une « affirmation ». Plus précisément, une hypothèse est une proposition ou une explication que l'on se contente d'énoncer sans prendre position sur sa véracité c'est-à-dire sans l'affirmer ou la nier. Une fois énoncée, on se propose de l'étudier, de travailler avec, d'adopter une attitude par rapport à elle, dans tous les sens que l'on peut donner à ces expressions :

                En résumé : une hypothèse est la simple formulation d'une proposition, la personne qui l'énonce ne prenant pas position sur le fait de savoir si ce qu'elle dit est vrai ou faux. On se contente ensuite de travailler dessus, d'où l'expression hypothèse de travail, ou de prendre au contraire position sans travailler dessus pour des raisons sentimentales,religieuses ou politiques par exemple.
                La formulation d'une hypothèse est le moment le plus créatif de toute la démarche scientifique. Il s'agit d'inventer ou de fabriquer une explication plausible. C'est même un moment irrationnel, il faut dépasser les évidences habituelles pour fabriquer une idée originale ("les moisissures produisent une substance qui empêchent le développement des bactéries") ou pour mettre en relation des paramètres divergents ou inattendus ("E = M.C2", l'énergie est mis en relation avec la masse d'un corps et le carré de la vitesse de la lumière). Mais il ne s'agit pas de n'importe quel imaginaire. En sciences, toute imagination n'est pas possible. Celle-ci est bridée de toutes parts. Plusieurs contraintes pèsent lourdement sur elle. L'hypothèse doit être cohérente. Elle doit être en phase avec les savoirs reconnus de l'époque ; du moins ceux qui ne souffrent d'aucune contestation. Elle doit être explicative sur de nombreux domaines. Il faut surtout qu'elle permette de "travailler". Plus particulièrement, la phase d'expérimentation demande toujours un protocole précis : le chercheur décrit le matériel et les produits utilisés, il indique une à une les étapes de sa démarche ou encore le dispositif technique approprié. Un ou plusieurs "témoins" sont nécessaires afin de faire des comparaisons fondées. Il faut ajouter qu'une seule expérience n'est jamais prouvante, il faut pouvoir la reproduire à l'identique de nombreuses fois.


                La méthode expérimentale
                La "méthode expérimentale" est définie par Claude Bernard (1966) comme une activité de construction de savoir, dans le domaine scientifique. Cette méthode peut être décrite par la succession de différentes étapes : formulation d'un problème émission d'hypothèses validation des hypothèses par la conception de l'expérience réalisation pratique de l'expérience analyse des résultats interprétation des résultats
                  L'expérience est au centre du processus ; elle est précédée d'une phase de formulation d'hypothèses et suivie par une phase d'analyse et d'interprétation des résultats.
                  Une
                hypothèse est une relation de causalité supposée entre deux faits. Pour vérifier cette causalité il suffit de faire varier la cause. L'observation des effets obtenus permet de conclure sur cette relation.
                 La réalisation pratique de l'expérience consiste à modifier un des facteurs pouvant agir sur le phénomène étudié. Le
                protocole expérimental décrit le dispositif utilisé pour agir sur ce facteur (appelé généralement paramètre ou variable). Il décrit aussi le dispositif utilisé pour observer et mesurer les effets ; cela suppose donc qu'on ait défini des entités observables (indicateurs du phénomène étudié) et qu'on ait choisi des "outils d'observation" (dans le domaine scientifique, il s'agit généralement d'instruments d'observation ou d'appareils de mesure). Un protocole expérimental ne prévoit qu'un nombre limité de paramètres connus.

                L'expérimentateur choisit de n'en faire varier qu'un seul ; les autres sont supposés constants.
                Certains paramètres importants interviennent à l'insu de l'expérimentateur (paramètres cachés). Ces paramètres cachés peuvent fausser les résultats de l'expérience.
                  Un résultat négatif de l'expérience conduira soit à une remise en cause du protocole (s'il y a un doute), soit à un abandon de l'hypothèse. Au contraire, un résultat positif pourra conduire à supposer que l'hypothèse avancée constitue une explication possible du phénomène étudié. De nouveaux éléments pourront conduire à formuler de nouvelles hypothèses.

                 

                Il faut donc considérer la méthode expérimentale comme un modèle au sens scientifique ; c'est à dire une construction intellectuelle visant à simplifier et expliquer une réalité forcément beaucoup plus complexe.

                 
                La démarche expérimentale : principales étapes 
                poser un problème  
                proposer une (ou plusieurs) hypothèse(s) précise(s): l’hyp. Expé. 
                manipuler les VI, mesurer les VD

                Les variables
                G. de LANDSHEERE (1992) définit les termes suivants : Variable indépendante

                Dans une relation de cause à effet, la cause est la variable indépendante et l'effet la variable dépendante.

                Variable dépendante

                C'est la variable passive, appelée parfois variable réponse, voire variable critère parce qu'elle indique le phénomène que le chercheur cherche à expliquer. Il est, en effet, clair que, pour choisir entre le régime du temps plein ou du mi-temps pédagogique, le critère est le meilleur rendement scolaire. Les mesures de critères sont donc celles que l'on fait sur le groupe expérimental, sur celui que l'on fait varier systématiquement.

                Variable contrôlée

                Cette expression désigne les variables indépendantes manipulées par l'expérimentateur ainsi que les variables qu'il décide de neutraliser pour les empêcher d'intervenir dans le phénomène.

                Variable assignée
                Kerlinger oppose variable active (qui peut être manipulée à volonté) à variable assignée (qu’il faut prendre telle quelle). Le sexe, le statut économique, la profession, la race sont des variables assignées.
                Variable subrogative
                Variable mesurée à la place d'une autre, soit parce que la première ne peut pas être relevée (par exemple à cause de réticences probables des sujets), soit parce que le relevé de la première serait trop peu fidèle ou trop difficile à réaliser.
                Exemples :

                  Variable continue
                  Variable qui, théoriquement, peut prendre toute valeur entre deux autres. Exemples : âge Intelligence, anxiété, performance scolaire, connaissance de l'anglais, poids, temps,
                  Variable discrète
                  Composée d'éléments séparés. Exemples : sexe, CSP ; On est enseignant ou on ne l'est pas, tandis que l'on peut être plus ou moins intelligent (variable continue).

                  Validation des hypothèses en méthodologies expérimentales : Les tests

                    Les effets perturbateurs d’expériences

                    G. de LANDSHEERE (1992) fait remarquer que "l'effet HAWTHORNE menace la validité interne de beaucoup d'expériences pédagogiques" (p. 324).
                    D'une manière générale, il faut conserver à l'esprit que la subjectivité de tout qui participe à une expérience, peut affecter les résultats de cette expérience. En médecine, on connaît l'effet placebo; en éducation, on se méfiera des effets HAWTHORNE et JOHN HENRY.
                    PB etique : Idéalement, les sujets eux-mêmes devraient ignorer qu'ils participent à une expérience, sinon leurs motivations et leurs réactions normales peuvent être profondément modifiées. C'est pourquoi on utilise parfois la méthode du double insu (double blind) pour expérimenter des médicaments. Ni les malades, ni ceux qui les soignent directement ne savent quel remède est utilisé. Deux groupes de patients souffrant d'une même affection sont choisis au hasard : l'un reçoit le médicament, l'autre un placebo, substance inactive présentée exactement comme le produit expérimenté. On trouve dans la littérature médicale la relation de nombreuses expériences où un placebo intervient. En particulier, lorsqu'il s'agit de substances psychotropes, environ 30 % des effets peuvent n'avoir aucune relation avec le caractère chimique du médicament.
                    On appelle effet Hawthorne les résultats, positifs ou négatifs, qui ne sont pas dus aux facteurs expérimentaux, mais à l'effet psychologique que la conscience de participer à une recherche et d'être l'objet d'une attention spéciale exerce sur le sujet ou sur le groupe expérimental.

                    On appelle effet Hawthorne les résultats, positifs ou négatifs, qui ne sont pas dus aux facteurs expérimentaux, mais à l'effet psychologique que la conscience de participer à une recherche et d'être l'objet d'une attention spéciale exerce sur le sujet ou sur le groupe expérimental. Hawthorne est un faubourg de Chicago.
                    Au cours d'une expérience, faite vers 1925, dans une usine de la Western Electric Company, afin de mesurer les effets d'un meilleur éclairage sur le rendement des ouvriers, C.E. SNOW a fait les observations suivantes :

                    Première expérience.
                    Un groupe d'ouvriers, prévenus qu'une expérience est en cours, travaillent dans une lumière électrique relativement constante de 16 à 18 bougies (groupe de contrôle). Le groupe expérimental, également prévenu, travaille dans trois conditions différentes : même lumière que groupe de contrôle, lumière double, lumière triple. Le rendement des deux groupes augmente de façon similaire.
                    Deuxième expérience.
                    Le groupe de contrôle reçoit une lumière constante de 10 bougies. Le groupe expérimental commence à travailler à 10 bougies; on diminue progressivement la lumière, à raison d'une bougie à la fois, jusqu'à 3 bougies. Le rendement du groupe expérimental et du groupe de contrôle s'élève progressivement.
                    Troisième expérience.
                    L'éclairage habituel n'est en rien modifié. Périodiquemnt, des électriciens remplacent les ampoules électriques par des ampoules identiques, mais déclarent qu'elles éclairent mieux. Le rendement augmente.
                    Ainsi, il a été prouvé que tout changement des conditions extérieures peut provoquer des transformations de comportement, indépendamment de la nature du changement apporté. Bien des gains attribués à telle méthode "nouvelle", à telles techniques audio-visuelles ou autres, ne sont, dans bien des cas, que des effets Hawthorne.


                    Effet John Henry

                    L'effet John Henry est semblable à l'effet Hawthorne, mais il affecte le groupe de contrôle. Sachant qu'une action particulière est entreprise dans le groupe expérimental, le groupe de contrôle semble ne pas vouloir « perdre la face ». L'effet tire son nom d'un héros de chanson populaire américaine. Un afro-americain ayant appris que les foreuses à main allaient être remplacées par des foreuses à vapeur et ayant peur de perdre son emploi, accéléra le rythme de son travail au point de battre la machine. Il en mourut d'ailleurs...


                    Si les effets Hawthorne et John Henry concernent les réactions subjectives des sujets de l'expérience, l'effet Pygmalion met en cause celle de l'expérimentateur. A nouveau, on reprendra la définition qu'en G. de LANDSHEERE (1992) dans son Dictionnaire de l'Evaluation et de la Recherche en Education.

                    Effet Pygmalion
                    Pygmalion, sculpteur chypriote de l'Antiquité, a créé, d'après la légende, une statue de femme d'une telle beauté qu'il en est tombé amoureux. Ayant demandé aux dieux de donner vie à cette statue, la déesse Aphrodite l'a exaucé.
                    En
                    pédagogie, effectuer des hypothèses sur le devenir scolaire d'un élève, et les voir effectivement se réaliser, a pris le nom d'effet Pygmalion. Le problème est d'importance, car si les enfants des milieux défavorisés réussissent moins bien à l'école que les enfants des milieux favorisés (voir Bernstein, Échec scolaire, Sociologie de l'éducation), la cause pourrait ne pas être uniquement celle que l'on croit.
                    Rosenthal a découvert l'effet Pygmalion en réalisant l'expérience suivante :

                        Après analyse, il s'avère que les étudiants qui croyaient que leurs rats étaient particulièrement intelligents, leur ont manifesté de la sympathie, de la chaleur, de l'amitié ; inversement, les étudiants qui croyaient que leurs rats étaient stupides, ne les ont pas entourés d'autant d'affection.
                          Bernard C. Introduction à la médecine expérimentale. BNF: http://gallica.bnf.fr/scripts/ConsultationTout.exe?O=87583&T=2 Kuhn T- la structure des révolutions scientifiques 1962, Flammarion 1983 Popper K. la logique de la découverte scientifique, Payot, 1973 Poincaré H. La science et l'hypothèse. Flammarion, 1909: "Comme l'expérience n'a de sens que relativement à une théorie, il devient alors possible de l'interpréter dans des langages ou des théories différentes et même de la " corriger " pour qu'elle se laisse ainsi interpréter."

                          Lakatos I. Preuves et réfutations, Hermann, 1984 Bachelard G. Le nouvel esprit scientifique - Vrin, 1975